Du côté de la librairie…
Envie de lire.... L'enfance
Envie de lire…. L’enfance
Cette semaine, petite sélection de livres ayant trait à l’enfance. J’ai choisi 4 récits très différents, d’époques variées, mais qui ne laisseront personne de marbre. Un braqueur, une adoption, le voisin d’un Chancelier, des enfants maltraités…. Histoires de vies.
En premier lieu, un récit d’enfance, dans le « Quartier Charogne ». Ce début de biographie (un autre ouvrage suit) nous plonge dans la vie de Nan Auroussan, ancien braqueur condamné à 6 ans de prison l’année de ses 18 ans. En 1957, il quittait l’Ain pour aller s’entasser avec sa famille dans un petit appartement parisien de la rue des Maraîchers.
C’est là, entre les marchands des quatre-saisons, les bagarres à la sortie des bars et les bals à l’accordéon que doit désormais vivre le petit Nan, 6 ans. Son enfance sera profondément marquée par l’amour d’une mère, la violence d’un père alcoolique et le basculement progressif dans la délinquance. Sans complaisance pour lui-même ni pour la société de l’époque, il nous replonge dans la vie de ces quartiers, les bagarres avec les copains, les sentiments mitigés envers un père très violent et cette mère qui tente envers et contre tout de maintenir les siens hors de l’eau. On ressent avec lui l’injustice d’un système contre lequel il ne peut rien et où peu de personnes sont présentes pour l’écouter. Les écarts commencent presque avec logique compte tenu de cette vie abimée et sans barrières réelles. Et même si la violence n’est pas excusable, les pages de Nan nous peinent. J’aimerais vous faire partager un extrait qui m’a émue parce qu’il retrace probablement toute la douceur et la dureté de ce livre :
« Qu’est-ce qui se passe au juste, mon grand, qu’est-ce qui t’arrive, au juste ? »
Elle est venue s’asseoir près de moi sur le lit et elle m’a caressé les cheveux.
« Qu’est-ce qui se passe mon Nan ? Qu’est-ce que tu as fait ? » Si seulement j’avais pu lui dire !
« J’ai rien fait, m’man, j’aime pas perdre, c’est tout. C’eswt juste que j’aime pas perdre ».
Elle a continué de me caresser les cheveux sans plus rien dire. J’avais envie de pleurer mais j’avais plus l’âge. Je ravalais ma salive parce que ça montait dans ma gorge, des sortes de sanglots à la con que je faisais tout pour retenir. C’était l’enfance qui foutait le camp et c’était dur à avaler.
Quartier Charogne.Nan Aurousseau. Paris : J’ai Lu, 2014. 153 p. 7,30 €
Second opuscule : un ouvrage de la rentrée littéraire 2014 : « Le berceau ». On se placera ici du côté des parents. Du père plus exactement, qui raconte ici l’arrivée de son fils, adopté au Maroc en 2012. Particularité de cette adoption : elle aurait pu ne pas avoir lieu car 4 mois après la rencontre des parents avec leur fils Ziad, une circulaire de la justice marocaine précisait que les tribunaux devaient désormais s’opposer à toute demande d’adoption de la part de non-marocains, arguant qu’il serait impossible de s’assurer que les parents adoptifs élèvent l’enfant selon les préceptes de l’islam. Il faudra un an pour que le petit Ziad parvienne à rentrer en France. Mais au-delà de ce fait, reste les pages écrites par cet homme qui ne se sentait pas près à devenir père, qui refusait même tout ce qui tournait autour de la paternité. Il expose ces états d’âme, ses impressions, son ressenti au fil de ces 90 pages qui, sans être exceptionnelles, permettent cependant de découvrir ce passage de l’état d’homme à celui de père. Extrait : « Je vais mettre trois jours à adopter l’enfant – j’entends affectivement. Par ignorance -car il n’a alors pas même un mois -, par incapacité aussi à éprouver de l’amour inconditionnellement, j’attends en effet de lui qu’il me sourie, autrement dit qu’il m’adresse une signe de reconnaissance, dans tous les sens du terme. Qui plus est, je n’aime guère les nourrissons, dont le contact m’a toujours horripilé […]. Le troisième jour donc, tandis que je le tiens dans mes bras après lui avoir donné le biberon, et bien qu’il ne m’ait jusque-là guère témoigné d’intérêt, le petit bonhomme se met à m’observer attentivement, comme fasciné par mon visage et hypnotisé par ma voix, qui lui fredonne une comptine : soudain, il consent à e sourire. Je fonds aussitôt en larme : en un instant il est devenu mon fils ».
Eric Laurrent. Le berceau. Paris : Les Editions de Minuit, 2014. 11,50 €
Le troisième récit, « Hitler mon voisin », débute dans les années 20, et retrace l’enfance d’Edgar, fils unique d’un éditeur juif munichois, qui découvre un jour son voisin : le futur chancelier Hitler. Après des années tranquilles, voire même comblées pour un jeune enfant, sa vie va rapidement voler en éclat. D’abord avec la déchéance des droits de citoyens de ses parents suite à l’évènement d’Hitler comme Chancelier, puis avec la Nuit des longs couteaux, la Nuit de Cristal, l’arrestation de son père déporté à Dachau. Afin de le protéger, sa famille parvient quand même à l’envoyer en Grande-Bretagne où il arrivera à construire sa vie.
Quelle ironie tout de même que ce voisinage ! Qui en fait n’a rien que de très normal, quand on connait la population des pays de l’Est avant la Seconde guerre : les Juifs étaient intégrés à la population, occupant toutes sortes de postes. A travers les yeux d’Edgar et son récit, on ressent l’incompréhension face à la montée du nazisme, aux livres de son oncle brûlés, aux insultes et coups grandissants. On perçoit l’injustice qu’il a dû vivre, passant des salons feutrés de sa famille cultivée aux discriminations à l’école puis à la fuite pour pouvoir survivre. Au-delà du témoignage saisissant, cet ouvrage permet de mieux comprendre l’ascension d’Hitler au titre de Chancelier. Il explique sa haine des Juifs et installe parfaitement la montée de l’antisémitisme au sein d’une communauté qui jusque-là vivait en harmonie. A lire pour mieux faire attention à ce qui se passe autour de nous.
Edgard Feuchtwanger. Hitler, mon voisin. Pris : Livre de Poche, 2014. 250 p. 6.70 €
Le dernier ouvrage proposé cette semaine est peut-être le plus percutant, mais aussi le plus dérangeant. Véritable coup de poing que ce livre parfaitement sous-titré « Le livre noir de la protection de l’enfance ». Il débute d’ailleurs par le récit du calvaire de la petite Marina, morte récemment sous les coups et les tortures de ses parents. Ce livre est un condensé de tout ce qu’un enfant peut subir de pire : le viol, l’errance, les maltraitances physiques ou psychiques, les placements abusifs ou l’absence de placement dans des cas avérés de grande souffrance, l’inceste, la violence de certaines familles d’accueil.
Mais au-delà de la description des cas rencontrés par les auteures, cet ouvrage dresse avant tout un tableau assez effrayant de l’aide sociale à l’enfance (ASE). S’appuyant sur de nombreuses études, en particulier les rapports de la Cour des comptes ou de l’IGAS, relevant les incohérences de multiples dossiers auxquels les auteures ont eu accès, il dénonce l’utilisation abusive de certains fonds publics dans des lieux d’accueil, le manque de communication flagrant entre les différents services de l’ASE, le manque de prise en compte de la parole des enfants, les lenteurs de la justice. Qui découlent directement
Il dénonce surtout l’aberration d’un système dans lequel de nombreux accueillants, travailleurs sociaux ou associations tentent désespérément et avec peu de moyens de sortir les enfants de situations dangereuses, voire inhumaines, alors que dans un même temps, des foyers d’accueil ont des budgets journaliers conséquents mais très mal utilisés, voire détournés. Il faut savoir que l’Etat dépense plus de 7,5 milliards d’euros pour la protection de l’enfance.
Au-delà de la dénonciation d’un système administratif, les auteurs s’interrogent surtout sur le fait que l’on préfère, en France, laisser les enfants dans des foyers qui coûtent chers et qui ne leur offrent pas de solution sécurisante, alors qu’il serait possible, en réformant certaines lois, de permettre à des familles d’accueillir les jeunes en souffrance. Il met également en avant le travail formidable réalisé par la plupart des éducateurs, eux-mêmes en souffrance car ne pouvant exercer correctement leur mission : « Nous n’assurons plus la sécurité des enfants dont nous nous occupons… ils sont en danger dans nos foyers ». Que dire de plus ?…
Alexandra Riguet/Bernard Laine. Enfants en souffrance… la honte. Paris : Fayard, 2014. 350 p. 20 €