Montceau-les-Mines : Faits Divers
« Vous êtes un maillon de la mort » dit le président au prévenu. Ce jeudi 17 avril, un homme de 37 ans, né à Paris et résidant à Montceau-les-Mines, est jugé pour acquisition, transport et détention de kétamine. Il est en état de récidive légale.
Tout part, comme bien souvent pour ces procédures, d’une dénonciation anonyme. Une personne renseigne le commissariat : identité, adresse, les deux véhicules, tout est précis. L’homme livrerait sur la région lyonnaise, lors de soirées, différentes drogues.
Une surveillance commence le 14 janvier et prend fin avec l’interpellation du mis en cause, le 18 février.
Perquisitions positives
Dans les véhicules et à son domicile, la police met la main sur 830 grammes de cristaux de kétamine, une balance de précision, deux téléphones, des sacs pour faire des pochons, et, dans le bocal destiné aux pastilles pour le lave-vaisselle, 11 000 euros.
Second mouvement, immédiatement tempéré
Premier mouvement de l’homme : Tout ça ne m’appartient pas. Second mouvement : Ok, c’est à moi.
Second mouvement immédiatement tempéré : c’est à moi mais…
Mais sur les 11 000 euros, seuls 1 000 euros proviennent de la revente de kétamine. Le reste, ça vient de la revente de tabac importé des Pays-Bas.
Pour la procureur, c’est du baratin destiné à se couvrir puisque les deux infractions ne sont pas équivalentes, ni en nature ni en degré. Les perquisitions, du reste, n’ont rien trouvé qui irait dans ce sens.
« Pour offrir un voyage à ma femme »
Le président prend le temps d’interroger le prévenu et lui offre plusieurs occasions de tenir un discours un peu plus franc mais peine perdue. L’homme donne des réponses à la noix.
Il est sorti de prison en octobre 2023. Il avait pris 4 ans, à Saint-Etienne, pour trafic de stupéfiants. Il sort de prison, il vient s’installer à Montceau, se marie, accueille un deuxième enfant (le premier vivrait chez sa mère à Lyon), crée une société qui ne génère aucun revenu, etc. Au second plan, il repart dans le trafic. Pour quelle raison ? « Pour offrir un voyage à ma femme. »
Rien ne tient
Soit. Et les 11 000 euros dans la cuisine, pourquoi sont-ils là au lieu d’avoir permis de partir en voyage (de luxe) ? …. Et sa dette de stups (« 41 kilos de speed saisis à Saint-Etienne, ça fait vers les 40 000 euros ») ? Pas payée.
Bref rien ne tient, sauf la position du prévenu et l’obstination du président d’audience.
De toute façon, vu la constellation d’activités tantôt aux franges, tantôt inopérantes, dont parle le prévenu, le SPIP comme le juge d’application des peines commençaient à s’interroger sérieusement. Et puis il y eut cette dénonciation…
« Savez-vous que cette drogue détruit les reins ? »
Le président cherche (et le lui dit franchement) à amener le prévenu sur le terrain de la gravité des faits et des responsabilités afférentes mais ce dernier tient ferme avec des propos indigents du style : « C’est très clair, c’est un peu compliqué c’est tout. »
Ou encore, sur la dangerosité de la kétamine (dont le nom est devenu célèbre depuis qu’un sénateur français a désigné le bras droit du président américain comme « un bouffon sous kétamine », ndla) :
« Savez-vous que cette drogue détruit les reins ? – Je ne savais pas. – Faut vous renseigner, monsieur. Vous êtes un maillon de la mort, tout ça pour payer un voyage à votre femme ? – C’est ça. »
Un CDD pour vendre du CBD, sans toucher de salaires
De ce qu’on comprend, cet homme ne déclare aucun revenu en son nom. Il a eu un CDD dans une sorte de commerce de CBD « chapeauté » par son frère et sa sœur, mais n’a pas eu de bulletins de salaire, en revanche il a « facturé » et de toute façon la société a fermé en juillet dernier. Nébuleux, comme le reste.
Il n’a jamais consommé de drogues, dit-il, ce qui, vu ce nouveau dossier, ne peut pas plaider en sa faveur.
Casier judiciaire : 8 mentions dont 2 pour trafics de stupéfiants
A son casier, 8 mentions dont deux pour trafics de stupéfiants. Pour l’affaire de Saint-Etienne, il avait été placé en détention provisoire en janvier 2020. Condamné à 4 ans, il était sorti en octobre 2023 donc.
Autres infractions et délits à son casier : des violences aggravées, outrages, refus d’obtempérer, rébellion, menaces de crime.
« Et vous en pensez quoi ?
– J’ai fait des bêtises, je regrette.
– Vous encourez une peine de 10 ans multipliée par deux en raison de l’état de récidive légale, et vous restez léger, monsieur. Et puis ce sont les enfants qui font ‘des bêtises’, pas les adultes. »
Les enfants, toujours victimes
« Monsieur, votre femme a écrit pour faire une demande de parloir. Elle dit que votre petit ne fait plus ses nuits.
– Franchement, ça m’attriste beaucoup. Ça doit être dur pour lui.
– Que direz-vous à vos enfants dans quelques années ?
– Que j’ai fait des erreurs, que je regrette.
– Ça fait discours plaqué, monsieur.
– Non, non. Je suis quelqu’un de simple, de détendu.
– 20 ans encourus et vous êtes ‘détendu’ ? »
Réquisitions – « Aucune raison de lui faire le moindre cadeau »
« Sa conjointe n’a rien vu-rien entendu ? Pourtant les pochons neufs et les 11000 euros étaient dans la cuisine. Monsieur est en état de récidive légale, il a été condamné à 4 ans pour trafic, il sort en 2023, il est sous le coup d’un sursis probatoire (condamnation pour menaces envers son ex), et il est à nouveau dans le trafic ! L’appât du gain est plus fort que le souci de ses enfants ? C’est son problème. C’est un trafiquant qui ne décroche pas de l’illégalité, il n’y a aucune raison de lui faire le moindre cadeau. » La procureur requiert une peine de 3 ans de prison et la révocation de 6 mois d’un sursis antérieur, non sans remercier au passage la personne qui a dénoncé ce trafic.
« Il ne faut pas extrapoler »
L’avocat qui intervient en dernière minute plaide le dossier : « Le carnet noir trouvé lors de la perquisition n’a rien donné. Il ne faut pas extrapoler. Il dit n’avoir fait qu’un seul voyage pour une rave à Saint-Etienne et y avoir vendu 170 grammes de kétamine. Il est retombé dans le trafic mais n’a pas eu le temps de mettre en place quoi que ce soit de grand. Je ne veux pas qu’on le juge pour des faits qu’il n’a pas commis. »
Sa position à l’audience l’enfonce
En écrivant l’article on se dit que ça ne tient vraiment pas, cette histoire de 170 grammes de kétamine vendus pour un gain de 1000 euros. Ça ferait à peine 6 euros le gramme à la revente, c’est risible. Selon l’OFDT* : « En 2022, selon l’espace d’achat, le prix pour 1 gramme de kétamine peut varier entre 20 et 50 € avec un prix courant dans les alentours de 30-40 € ».
Le prévenu a voulu jouer la carte du baratin, n’a rien apporté pour sa défense (il a eu presque deux mois pour s’en occuper) ? Le tribunal va sanctionner les faits et la position de l’homme.
5 ans et 5 mois de prison, interdiction de paraître dans ce département pendant 5 ans
Le tribunal ne délibère pas très longtemps. Il dit le prévenu coupable et va au-delà des réquisitions en le condamnant à la peine de 5 ans de prison, auxquels s’ajoutent 5 mois de révocation de sursis. Le tribunal ordonne la confiscation des scellés et bannit le prévenu du département de Saône-et-Loire pendant 5 ans.
Il est fort possible qu’il fasse appel de cette décision, mais vu les nouvelles dispositions légales pour lutter contre le narcotrafic – comme on l’appelle désormais en France, il n’est pas certain qu’il en sorte gagnant.
FSA
*OFDT : l’observatoire français des drogues et des tendance addictives
https://www.ofdt.fr/ketamine-synthese-des-connaissances-1731