Musée de la Maison d’Ecole (Sortir)
Aujourd’hui : Histoire des écoles polonaises du début du XXème siècle en France et à Montceau
Aujourd’hui :
Histoire des écoles polonaises
du début du XXème siècle en France et à Montceau
L’enseignement de leur langue d’origine pour les enfants de migrants s’effectue de nos jours dans un cadre officiel et réglementé.
Ecole de garçons des Gautherets, cours de polonais, 1953/1954 (collection musée)
Ce ne fut pas toujours le cas et cette organisation bien rôdée doit sans doute beaucoup à l’implantation de la colonie polonaise en France au début du XXème siècle. En effet, cette migration est un des premiers grand afflux de main-d’œuvre étrangère sur les bassins industriels ou houillers français. La Troisième République et son enseignement obligatoire, laïque et gratuit n’avait pas envisagé ce cas de figure et la question cruciale de l’instruction de tous ces enfants d’émigrés se posa rapidement. Il était au demeurant difficile, pour notre toute jeune Instruction Publique, de se soustraire à ces responsabilités. Les premières décennies du siècle virent donc la lente construction d’un système jusqu’alors à inventer.
La prise en charge des enfants d’émigrants polonais en France avant 1920 :
A l’origine, l’enseignement de leur langue aux petits polonais arrivés en France avec leurs parents, s’était développé clandestinement et avait été pris en charge par les associations et le clergé polonais dès l’arrivée massive de ces travailleurs en France, surtout après le premier conflit mondial.
Les autorités française, faute de moyens, fermeront provisoirement les yeux sur cette implantation « sauvage » visant essentiellement à maintenir les enfants (et à travers eux leurs familles), dans un culte de l’appartenance à une patrie qu’il faudrait bien rejoindre tôt ou tard. Au demeurant, les accords gouvernementaux ne prévoyaient qu’un prêt temporaire de main d’œuvre. Ils occultaient la scolarisation des petits polonais dans les écoles françaises et envisageaient encore moins la création d’un enseignement polonais. Les textes signés le 3 septembre 1919 entre les deux pays ne réglementaient que l’émigration et la ré émigration des travailleurs polonais.
Bien avant cette date, en 1910, la première colonie ouvrière polonaise importante s’implanta à Lallaing, dans le département du Nord. Comme le rapporte Edmond Gogolewski, cette colonie organisa tant bien que mal, l’éducation de ses enfants : « elle se composait de personnes qui étaient moins attirées par la perspective d’un meilleur salaire que par la possibilité d’envoyer leurs enfants dans « une école polonaise ». Grâce à l’intervention du prince Witold Czartoryski et de Maria Mickiewicz, Skrochowsk, le secrétaire du prince, fit venir de Cracovie la première institutrice polonaise en novembre 1910.
Il ne s’agissait pas de l’employer dans « une école polonaise », mais de lui faire assurer quelques heures d’enseignement de polonais à l’école communale privée des filles de la petite bourgade minière. Une bonne centaine de familles polonaises habitaient alors à Lallaing, de sorte que 56 garçons et 32 filles suivaient les cours de langue polonaise. Après que les mineurs polonais eussent déclenché une grève pour obtenir l’ouverture d’une « école polonaise », la direction de la Compagnie minière accepta que le cours polonais fût enseigné aux enfants dans ses écoles libres. Elle fournit alors un local spécial à usage de salle de classe pour les enfants de ses ouvriers et un logement à l’institutrice. Une moitié du traitement de l’institutrice était payée par le prince Witold Czartoryski, domicilié à Paris et l’autre, par la Compagnie minière. »
Dans cet exemple se dessine déjà le schéma d’intégration locale des futures vagues d’immigration et la position qu’adoptera presque partout le patronat et particulièrement le Comité Central des Houillères de France. Que se passa-t-il par la suite à Lallaing ? La communauté polonaise ne cessant de croître dans ce secteur, le nombre d’enfants d’âge scolaire augmenta, de sorte qu’en 1912, à la demande du prince Adam-Louis Czartoryski, frère aîné de Witold décédé en octobre 1911, la Compagnie des Mines accepta d’accueillir une nouvelle institutrice et c’est alors la princesse Czartoryski, épouse du prince Adam-Louis, qui décida de prendre à sa charge les frais afférents à cet emploi, la Compagnie fournissant logement et local scolaire. La machine était lancée : à la rentrée 1913-1914, on fit appel à une troisième enseignante, puis, deux aumôniers polonais arrivèrent pour décharger les maîtresses de l’enseignement du catéchisme. Leur présence montre bien la volonté d’enraciner en terre étrangère une pratique spécifiquement polonaise du catholicisme, se fondant, dans le cadre des cités minières, sur leur action, non sans conflit avec les prêtres français, car ces aumôniers célébraient la messe et enseignaient le catéchisme en polonais.
On voit bien que la mise en place de cette structure scolaire avait complètement échappé au contrôle des autorités académiques dont le désintérêt pour la chose était notoire, à tel point même, qu’au moment où certains ouvriers polonais, estimant que leurs enfants étaient surchargés de travail (ou que l’emprise du système devenait pesante…), renonçaient à les envoyer dans cette école tant désirée, personne ne s’alarma de la déscolarisation de ces derniers. La loi de 1882 ne portait pas dans son texte d’obligation scolaire explicite pour les enfants étrangers.
Pour clore cet épisode de la naissance des écoles polonaises en France, on notera que le système s’étendit à Arenberg et à Déchy dans le département du Nord et à Barlin et Noeux-les-Mines dans le département du Pas-de-Calais à la suite d’une arrivée accrue de migrants. Cette population venait d’Allemagne (probablement de Westphalie-Rhénanie, région industrielle) pour s’établir dans les deux départements du nord. Bon nombre de ces polonais possédaient la nationalité allemande, ce qui, à la déclaration de la Première guerre mondiale, leur donna le statut de « ressortissants d’une puissance étrangère ennemie de la France ». On les éloigna donc de la zone des combats en les installant sous surveillance policière, dans les régions minières du centre de la France (Baulieu). Ils décidèrent d’y rester après le conflit.
On peut donc légitimement s’étonner que le recrutement des enseignants affectés à la scolarisation des enfants polonais ait ainsi échappé au contrôle des autorités françaises en général et académiques en particulier. Les maîtresses et les maîtres polonais ne relevaient localement de l’autorité d’aucun directeur d’école ou d’établissement.
Cette situation perdura après la Première Guerre mondiale, les nouveaux polonais venus d’Allemagne ou de Pologne, au delà de leur différence d’origine, mirent en commun leurs expériences de la vie associative. Les associations polonaises à caractère social d’Allemagne se mirent en devoir de réorganiser la communauté. Ils ouvrirent des écoles de leur propre chef. Les parents se cotisaient pour rétribuer les services des « instituteurs » (immigrants sortis du rang possédant un petit bagage intellectuel) au tarif horaire d’un mineur de 10ième catégorie.
L’évolution de la situation en 1920 :
En 1921, des prêtres polonais furent envoyés en France par le Primat de Pologne. Ils eurent une forte emprise sur les organisations polonaises. Pensant toujours que leur séjour en France n’était que temporaire, les émigrants firent appel au clergé pour l’enseignement du polonais.
Des structures apparurent donc, en concertation avec la direction des compagnies minières ou des usines qui s’étaient émues de la multiplication des écoles sans leur aide ni leur contrôle. Les compagnies minières en particulier, avec l’appui de la Mission catholique Polonaise en France, recherchèrent des enseignants parmi les mineurs venus d’Allemagne ou en firent venir d’autres de Pologne, leur offrant un contrat de travail. Elles recrutèrent certains mineurs et ouvriers qui avaient déjà enseigné dans des cours du soir après leur journée de travail.
Ils étaient agréés par la Commission de l’Instruction (Komisja Oswiatowa) auprès de l’Union des Polonais d’Allemagne et avaient obtenu leur diplôme d’instituteur de l’émigration. Ils travaillaient alors une demi-journée à la mine et consacraient l’autre demi-journée à l’enseignement. Ils conservaient le salaire et les avantages consentis aux autres ouvriers. Une partie d’entre eux finirent par enseigner à temps complet et perçurent le traitement d’un instituteur français débutant dans un établissement privé.
Un embryon de légalisation s’esquissa cette même année, à Freyming-Merlebach, sous l’impulsion d’une organisation polonaise. L’association Sainte Barbe s’adressa au directeur de l’Instruction publique de Moselle pour obtenir l’ouverture d’un cours de polonais. Le maire de la ville offrit une salle de l’école communale. Le moniteur qui fut nommé dépendait du Consul de Pologne à Strasbourg qui lui versait son salaire. La création de ces cours satisfaisait les acteurs locaux : les employeurs retenaient ainsi une main d’œuvre stable et travailleuse, tandis que le clergé polonais voyait dans ces classes une catéchisation plus facile dans la langue du pays.
L’organisation de la scolarisation des enfants d’immigrés polonais après 1921 :
Durant la période 1922-1924, le nouveau recteur de la Mission Catholique Polonaise, le père Wilhelm Szymbor organisa l’enseignement du polonais. Il obtint l’ouverture et le financement de 35 « écoles polonaises ». La position du clergé s’en trouva renforcée. Il centralisa sous sa juridiction l’enseignement du polonais dans les écoles privées en France. Henri de Peyerimhoff, vice-président du Comité Central des Houillères de France, bien que conscient de la situation délicate créée de fait par ce dispositif face à la laïcisation des écoles françaises, donna tout de même son accord sur le recrutement des moniteurs polonais pour les écoles privées des mines par la Mission Catholique.
L’enseignement en langue polonaise dans ces écoles n’était pas de nature à favoriser un processus d’assimilation dont les jeunes polonais auraient inévitablement besoin en restant en France comme l’avenir le confirmera. Si la convention franco-polonaise de 1919 avait passé cette évidence sous silence, une commission mixte Franco-polonaise s’intéressa à ce problème en 1924. Le protocole du 27 avril de cette même année spécifia enfin que les enfants des travailleurs émigrés seraient soumis à l’obligation scolaire. Restait à savoir dans quel cadre.
Des voix s’étaient élevées au Ministère de l’Instruction Publique et des Beaux-arts dès 1921 demandant un état des lieux. Le Ministère s’enquerra de la situation à travers une lettre adressée aux directeurs de l’enseignement primaire dans les départements concernés par l’afflux de main d’œuvre polonaise par une lettre les questionnant sur le sort qui était fait aux enfants de ces travailleurs. Les inspecteurs primaires du nord furent saisis du problème en ces termes : « vous voudrez également me faire savoir si vous n’avez pas été l’objet de sollicitations tendant à obtenir l’ouverture d’une école polonaise et de vous assurer très confidentiellement s’il n’en existerait pas quelqu’une, soit à Anzin, soit ailleurs, qui ait été créée sans aucune déclaration ».
L’émigration en direction de la France allant croissant, les enfants polonais affluaient en grand nombre dans les écoles communales, ce qui n’était pas sans poser de problèmes d’effectifs (donc de coût) ou de communication (non maîtrise du français). Les autorités scolaires songèrent à une assimilation rapide des jeunes polonais, avec souplesse toutefois, de manière à ne froisser personne : « si on vous le demande, vous pourrez permettre qu’on leur donne quelques leçons de polonais afin qu’ils ne perdent pas l’usage de leur langue, et pour cela, de même que pour faciliter la transition, vous pourrez tolérer, à côté de nos maîtres, des auxiliaires de la nationalité des élèves en ayant soin de contrôler leur identité.
Il conviendra, toutefois, de ne pas aller au devant de ce désir que je ne mentionne que parce qu’ils ont été formulés dans d’autres endroits et que Monsieur le Ministre de l’Instruction a permis de satisfaire à titre transitoire dans les conditions indiquées. » A titre « transitoire », le Ministère donnait des autorisations « provisoires » d’installation d’enseignants de langue polonaise dans les établissements d’enseignement publics, dans le but évident d’éviter aux compagnies minières la tentation de créer des « écoles polonaises » privées, illégales aux yeux de la loi française et qui n’étaient pas désirables pour des considérations d’ordre national : les enfants polonais devaient recevoir l’enseignement en français. L’ordre avait été donné aux écoles publiques de « recevoir promptement les enfants polonais qui s’y présenteraient » afin de leur dispenser « un enseignement du français tel qu’ils fassent des progrès rapides ».
Les associations et les parents polonais tenaient toujours à ce que des moniteurs du pays donnent des leçons à leurs enfants. Les autorités françaises, désirant rester maître du jeu, tolérèrent que ces cours soient dispensés dans une des classes de l’école publique, sous la responsabilité des instituteurs français et sous la surveillance du directeur. Chaque division était autorisée à recevoir deux demi-journées d’enseignement du polonais par semaine. Chacun poursuivait ainsi ses objectifs qui, sans être opposés, n’en étaient pas moins quelque peu contradictoires : les uns visaient le maintien dans la culture d’origine en vue d’un retour au pays, les autres, plus pragmatiques, prêchaient pour une assimilation des populations.
De leur côté, pressées par les associations polonaises, les houillères de France s’étaient tournées depuis 1922 vers le gouvernement. Henri de Peyerimhoff avait demandé à Raymond Poincaré, alors Ministre des Affaires Etrangères, l’autorisation d’ouvrir des écoles privées polonaises dans les exploitations minières. Ce dernier lui répondit que « les demandes tendant à la création de classe particulièrement destinées aux enfants polonais devaient être adressées aux Inspecteurs d’académie, qui les transmettraient à l’administration centrale, laquelle les examinera avec bienveillance. Ces classes seraient confiées à des instituteurs ou institutrices de nationalité française, mais des moniteurs ou monitrices polonais seraient tacitement admis à y enseigner et leur présence serait tolérée, même lorsqu’ils ne rempliraient pas toutes les conditions prévues par la loi française ».
N’arrivant pas à faire face à la situation provoquée par la scolarisation massive des enfants polonais dans les écoles communales laïques et malgré leur réticence, les autorités saisissaient ainsi l’opportunité qui leur était offerte de déléguer leur obligation dans ce domaine. Devenant plus conciliantes, elles autorisaient de fait, l’emploi de maîtres polonais dans les écoles privées, en fixant toutefois quelques conditions : les monitrices et les moniteurs de polonais devaient exercer exclusivement sous l’autorité des titulaires français et les inspecteurs primaires des circonscriptions concernées devaient s’assurer, au cours de l’année, des progrès des enfants… dans la connaissance de la langue française. Les classes d’élèves polonais, en principe, ne devaient pas former une école distincte et avoir d’existence à part. On verra par la suite que ce modèle fut adopté par la Société des Mines sur le Bassin minier de Montceau-les-Mines.
L’organisation de la scolarisation des enfants d’immigrés
polonais après l’Accord franco-polonais de 1924 :
La conférence franco-polonaise de Paris en 1923 fut à l’initiative des autorités polonaises. Ces dernières, conscientes que la Convention franco-polonaise de 1919 comportait des lacunes, avaient porté ce problème devant la Commission de l’Instruction Publique de la Diète Polonaise. A l’issue de cette conférence, les délégués siégèrent du 25 mars au 17 avril 1924, sous la présidence de François Sokal, président de la délégation polonaise. Après des débats difficiles, un accord fut conclu entre les parties le 17 avril.
Cet accord organisait officiellement les cours de polonais dans les écoles privées françaises, principalement dans les écoles privées des compagnies minières. Dans les secteurs où le nombre des enfants polonais de 7 à 14 ans atteignait 65, des cours devaient être organisés dans le cadre de l’emploi du temps normal de ces écoles. Des cours devaient aussi être ouverts dans les écoles primaires publiques, le jeudi, pour les autres secteurs à forte densité d’émigrés polonais.
Le recrutement des moniteurs polonais fut laissé aux soins des différentes compagnies minières à partir de listes proposées par les autorités consulaires polonaises. Leur salaire pour une quinzaine d’heures par semaine devait correspondre à celui des enseignants français, avec les mêmes avantages (logement, chauffage, caisse de secours).
En 1924 fut créée l’Inspection Générale des Ecoles auprès de l’Ambassade de Pologne à Paris (Naczelny Inspektorat Szkolny). La Mission Catholique fut derechef dessaisie de ses prérogatives, mais dans la réalité, les associations polonaises continuèrent de faire appel à des aumôniers polonais pour les cours du jeudi…
Après l’arrivée de 40 nouveaux instituteurs et institutrices en 1924, l’effectif des enseignants polonais est porté à 76 diplômés et 10 non diplômés, ce nombre restait nettement insuffisant face au nombre d’enfants à scolariser. En 1925, l’effectif est de 102 instituteurs et institutrices (ou plutôt moniteurs et monitrices dans la terminologie officielle). Une petite partie d’entre eux échappe encore à la juridiction scolaire française dans le cadre illégal des « cours du jeudi », ils sont ouvriers, étudiants ou prêtres et dispensent un enseignement autant religieux que linguistique.
Selon Gawronski, directeur du service national de l’émigration, en 1926, il y a 11773 élèves polonais suivant les cours donnés par 96 enseignants agréés par la Pologne. Par la suite, au plus fort de l’émigration polonaise, quelques 60000 enfants attendaient de pouvoir étudier leur langue maternelle. Malgré les efforts et la création par l’Inspection Générale des Ecoles d’une Inspection de l’Enseignement, les besoins ne furent jamais couverts. La délégation d’inspecteurs de l’enseignement dans six consulats : Lille, Strasbourg, Lyon, Toulouse, Marseille et Paris, ne permit pas de scolariser officiellement plus du tiers des enfants concernés, faute d’enseignants polonais, ce qui favorisa les « cours du jeudi » pour lesquels le Conseil d’Entente des Unions Polonaises en France créa un fonds scolaire pour pallier les insuffisances du gouvernement polonais. La Commission culturelle de ce Conseil (Komisja Kulturalno-Óswiatowa) mit en place une collecte, au mois de mai de chaque année. Ainsi, à l’aube de la Seconde Guerre mondiale, 23000 enfants polonais bénéficiaient d’un enseignement de leur langue financé par les compagnies minières ou industrielles et 7000 fréquentaient les cours ouverts par les associations polonaises.
Ecole spéciale de garçons des Gautherets vers 1925 (collection musée)
Les écoles spéciales des Houillères à Montceau-les-Mines :
Le protocole du 17 avril 1924 est clair et la question de l’enseignement du polonais est scellée : le Ministère l’Instruction publique ayant un droit de regard sur l’enseignement libre, il pourra exercer une surveillance discrète sur cet enseignement dépendant officiellement des autorités polonaises en France. Bien qu’entrant ainsi dans la légalité, les écoles spéciales de la Société des Mines du bassin de Blanzy existaient cependant à Montceau-les Mines et dans sa périphérie depuis 1921.
La première compagnie minière de la région, créée par Jules Chagot en 1833, était florissante, les demandes importantes consécutives à la guerre de 1914-1918 avait poussé les exploitants à augmenter leurs activités et la nouvelle Société des Mines eut un développement industriel, social et scolaire accru.
L’exploitation houillère se déplaça vers les limites méridionales du Bassin minier originel, et pour y travailler, de nombreux émigrés polonais furent embauchés à partir de 1923. La construction de cités nouvelles inclut celle d’écoles primaires, et même, conformément à la convention gouvernementale franco-polonaise de 1919, puis à l’assouplissement de la position du gouvernement français en 1922 et enfin au nouveau cadre imposé en 1924, l’ouverture de classes polonaises dites « écoles polonaises », pour un enseignement à donner aux fils d’étrangers, en principe à mi-temps, 3 heures de cours en français et 3 heures de cours en polonais. Plusieurs écoles primaires accueillaient une population scolaire française ou étrangère, habitant aux environs, et précisément les jeunes polonais en des classes que dirigeaient des moniteurs de leur nationalité, agréés par le ministre français de l’Instruction publique et enseignant sous la responsabilité d’un maître français. On remarque que les écoles « spéciales » de Montceau et des communes du Bassin minier ont suivi le même processus d’implantation que partout en France et bientôt, on compta 1040 enfants polonais en 1926 répartis dans neuf écoles, leur nombre passa à 1380 en 1931.
Durant la période 1921-1923, la Compagnie engagea la construction de nouvelles cités et les écoles « polonaises » suivantes furent ouvertes :
– Ecole de garçons aux Baudras (Sanvignes).
– Ecole de filles aux Baudras (Sanvignes).
– Ecole de garçons des Gautherets (Sanvignes).
– Ecole de filles des Gautherets (Saint Vallier).
– Ecole de garçons de la Saule (Montceau).
– Ecole de filles de la Saule (Montceau).
– Ecole des Georgets (Sanvignes), pour seulement les enfants polonais.
– Ecole privée du Magny (Montceau), idem.
– Ecole de l’ancienne verrerie de Blanzy, idem.
Ecole spéciale de filles des Gautherets vers 1925 (collection musée)
Le cas particulier des écoles spéciales des Gautherets à Saint-Vallier :
De 1921 à 1927 s’édifia la cité des Gautherets. La première année vit sortir de terre 144 maisons pour un total de 326 logements. Bientôt, le recensement de 1926 donna un chiffre de 2338 habitants dans ce quartier neuf. Jusqu’en 1986, date où par décret du Premier ministre, la commune de Saint-Vallier rétrocédait quelques 41,641 hectares à la commune de Sanvignes, le territoire de cette cité se répartissait à 80 % pour l’une et 20 % pour l’autre.
En 1923, deux écoles spéciales furent ouvertes par la Société, de part et d’autre de l’actuelle place des Gueules Noires : celle de garçons était sur Sanvignes et celle de filles sur Saint-Vallier. On y adjoindra un bâtiment annexe, actuellement disparu, qui était situé derrière la nouvelle école maternelle Casanova, servant à l’accueil maternel pour les enfants polonais, il était tenu par des sœurs polonaises.
A partir de 1947, les classes enfantines prirent place dans l’école publique de filles. Ces deux écoles privées et gratuites dispensaient, comme tous ces types d’écoles, un enseignement bilingue (français-polonais) par demi-journée. Les archives de l’école des garçons (côté Sanvignes) ont disparues, peut-être détruites pendant la Seconde Guerre mondiale alors que les bâtiments servaient de casernement aux soldats allemands. Nous possédons cependant les archives scolaires de l’école des filles (côté Saint-Vallier), ce qui nous permet de porter un regard sur l’organisation pédagogique de 1924 à 1947. Monsieur Shlique, Inspecteur de l’Enseignement Primaire à Montceau cotera et paraphera le 3 mars 1924 le Registre des Maîtres et des Employés ouvert à la rentrée 1923 par la directrice de l’école, mademoiselle Ménard (photo registre 1).
Registre Matricule de l’école de filles des Gautherets, photographie 1 (collection musée-cliché D. Busseuil)
Marie-Louise Ménard avait été institutrice dans une pension dirigée par Mademoiselle Vincent à Orléans de 1911 à 1914, puis institutrice à l’école des Mines de Blanzy (71) jusqu’en 1923, elle était titulaire du Brevet Supérieur (1913) et du Certificat d’Aptitude Pédagogique (1917), elle quitta la région en 1928. Trois adjointes et deux monitrices polonaises avaient aussi été recrutées pour cette rentrée 1923 :
Aubague Marguerite, institutrice à l’école de la Mine du Magny de 1918 à 1919, puis à l’école de la Mine des Baudrats (71) de 1919 à 1923, titulaire du Brevet Supérieur (1918), elle fut nommée dans l’enseignement public en 1930,
Chauvot Marie, institutrice un an dans les écoles de Saint-Martin-en-Bresse, puis Beaurepaire, Buxy et Châlon de 1919 à 1922, titulaire du Brevet Elémentaire (1920), elle partit pour l’école de la Mine du Bois-du-Verne (Montceau) en 1927,
Devillard Reine, sans profession avant sa nomination, titulaire du Brevet Elémentaire (1921), elle quitta l’enseignement en 1924,
Paszkkiewiez Héléna, nationalité polonaise, professeur à l’Institution libre de Rome, puis institutrice à Varsovie et monitrice à l’école de la mine des Baudrats Sanvignes) avant d’être nommée à nouveau monitrice aux Gautherets, titulaire d’un diplôme correspondant au Brevet supérieur, elle retourna en Pologne en 1924,
Jerzykowska Zofja, nationalité polonaise, professeur dans les familles et dans des Institutions à Posen, titulaire d’un diplôme correspondant au Certificat d’Aptitude à l’Enseignement secondaire en lettres, monitrice aux Gautherets de 1923 à 1928, elle retourna en Pologne. (photo registre 2)
Registre Matricule de l’école de filles des Gautherets, photographie 2 (collection musée-cliché D. Busseuil)
Dans les années qui suivirent, d’autres arrivées de monitrices polonaises eurent lieu, plus ou moins régulièrement, jusqu’en 1943 :
Stvzelecka Berthe, nationalité polonaise, institutrice privée à Osiccimy Rujamy, puis monitrice à l’école de la mine de La Saule (Montceau), sans diplôme, elle arriva en 1924 et passa directement à l’école de garçons,
Slavzynska Marie, nationalité polonaise, sans profession avant, produit une attestation équivalant à un diplôme de fin d’études secondaires, elle fut monitrice aux Gautherets de 1924 à 1925 et repartit en Pologne,
Radzicka Elzbicta, nationalité polonaise, institutrice à Kiew de 1917 à 1918, Directrice du Pensionnat de Stavzysko de 1908 à 1911, puis professeur de mathématiques à Varsovie de 1911 à 1914, elle fut monitrice aux Gautherets de 1925 à 1926,
Walicka Marie, nationalité polonaise, sans emploi avant et sans diplôme, elle fut monitrice aux Gautherets de 1925 à 1926,
Wojtowicz Maria, nationalité polonaise, institutrice à l’école maternelle de Dosbrova Govniena de 1916 à 1925, elle fut monitrice aux Gautherets de 1925 (date d’autorisation 14 janvier 1926) à 1939,
Soszngalska Halina, nationalité polonaise, sans profession avant, titulaire d’un diplôme correspondant au Brevet supérieur (1928), elle fut monitrice aux Gautherets de 1927 à 1929,
Rzasnicka Anne, nationalité polonaise, sans profession avant et sans diplôme, elle fut monitrice aux gautherets de 1927 à 1939 et retourna en Pologne,
Poradzisznowna Wiktorya, nationalité polonaise, monitrice à l’école de la mine du Magny (Montceau) de 1927 à 1929, titulaire d’un diplôme correspondant au Brevet Supérieur (1927), elle fut monitrice aux Gautherets de 1929 à la nationalisation,
Kosinska Irina, nationalité polonaise, sans profession avant, titulaire du Brevet Elémentaire (Châlon-sur-Saône, 1943), elle fut institutrice aux Gautherets de 1943 à la nationalisation.
Durant toute cette période, l’école de filles des Gautherets s’était développée et comptait plus de dix classes pourvues d’institutrices privées laïques françaises.
On peut émettre plusieurs remarques à l’analyse de ce registre des maîtresses et des employées. Les enseignantes des écoles de la mine, comme les enseignants du reste, même si elles sont sous le contrôle des Inspecteurs primaires, n’en sont pas moins recrutées et rétribuées par les Houillères. Ces dernières se sont vraisemblablement pliées aux exigences du Protocole du 17 avril 1924 concernant les nominations et les autorisations d’exercer des monitrices et moniteurs polonais. On peut s’interroger sur les qualifications de certaines monitrices et sur leur recrutement, on constate cependant qu’elles étaient relativement jeunes. Le cas d’Irina Kosinka est intéressant, née le 25 janvier 1925 à Wyszyny, elle fait ses études en France, et alors que ses compatriotes ont regagné la Pologne pour la plupart, il est probable qu’elle avait, grâce aux études en question, les moyens de rester en France. On perd sa trace après 1947 dans l’enseignement public.
En 1939, une enquête atteste la présence de seulement huit monitrices et moniteurs polonais sur les neuf écoles franco-polonaises du Bassin minier de Montceau. Le personnel enseignant laïque de la mine et les monitrices et moniteurs polonais officièrent jusqu’en 1947, date de la nationalisation des houillères.
A cette date, ces écoles devinrent des écoles publiques à la charge des communes propriétaires et des instituteurs et institutrices publiques furent nommés. Le registre dont nous avons tiré toutes les informations qui précèdent ne fut pas clos en 1947. Après la page 9, paraphée par l’Inspecteur Chlique, la page 10 porte le tampon « Ecole Publique de Filles Les Gautherets-Saint-Vallier » et à la suite sont dorénavant notées les arrivées des enseignantes publiques. Treize d’entre-elles font leur rentrée en octobre 1947 en remplacement du personnel des Houillères :
Mouchon Yvonne, Directrice,
Colomiers Marguerite, titulaire,
Lebeau Marie, titulaire,
ASTOLFE GEORGETTE, titulaire, membre fondatrice du Musée de la Maison d’Ecole à Montceau, décédée en 2010,
Barault Simone, intérimaire,
Rorgues Odette, stagiaire,
Chevrot Andrée, suppléante,
Bouvier Alice, stagiaire,
Jarjaille Madeleine, stagiaire,
Robergeot Jeanne-Pauline, stagiaire,
Martin Denise, auxiliaire,
Gagnard Marguerite, intérimaire,
Decertenne Denise, intérimaire.
(photo registre 3)
Registre Matricule de l’école de filles des Gautherets, photographie 3 (collection musée-cliché D. Busseuil)
Jusqu’en 1947, peu d’enfants polonais avaient fréquenté les écoles publiques environnantes, même si elles leur étaient ouvertes, notamment l’école publique du quartier des Goujons toute proche (actuelle école Jules Ferry). Cette organisation scolaire n’avait pas facilité l’assimilation de la communauté polonaise durant la période 1923-1947, les enseignants polonais ayant pour mission de maintenir la culture et les traditions afin de faciliter le retour au pays, retour qui, dans la plupart des cas, n’eut jamais lieu.
Plus aucune trace d’enseignants polonais ne figure sur les registres matricules à partir de 1947 alors que des cours de polonais sont toujours dispensés hors temps scolaires. Ces cours perdurèrent, dans les locaux de l’école de filles des Gautherets (actuelle école Marie Curie-Sklodowska) jusqu’en 2004, le jeudi, puis le mercredi après-midi, pour les écoliers et les collégiens volontaires du quartier. Ils étaient assurés, les deux dernières décennies par Madame Dutziack, monitrice polonaise, dans le cadre de l’Enseignement des Langues et Cultures d’Origines (E.L.C.O) mis en place à partir de 1973, sans que l’enseignement du Polonais, précurseur en la matière, ne soit expressément cité dans les textes officiels…
Pour en revenir à l’année 1947, la nationalisation des compagnies minières ne constitua pas seulement un changement de structure économique ou une modification dans le régime de propriété, elle annonçait aussi la transformation de la politique d’encadrement des mineurs polonais qui était celle des compagnies privées. Elle imposait la laïcisation. Le soutien matériel de la Société des Mines, accordé aux ordres religieux (mise à disposition de maisons, financement de leurs activités) et notamment en ce qui concernait les sœurs accueillant les enfants d’âge maternelle des Gautherets, était remis en question. Les écoles des Mines furent intégrées dans le système public, ce qui n’alla pas sans créer de multiples sujets de débats : qu’allait-on faire des monitrices et des moniteurs polonais de ces écoles ?
Cette nationalisation affecta directement le catholicisme et le milieu polonais en général. Se posa aussi le problème du paiement des aumôniers. La Mission Catholique Polonaise était incapable de l’assumer seule, aussi ne devaient-ils compter désormais que sur la générosité des fidèles. Le passage des écoles privées dans le giron de l’Education Nationale fragilisa l’organisation des cours de polonais qui ne pouvaient plus être assurés qu’en dehors des horaires scolaires.
Le rédacteur en chef du journal polonais Narodowiec s’en inquiéta, découvrant tardivement, semble-t-il, que la République Française est définitivement laïque depuis 1905 : « La Nationalisation des Mines françaises a détruit la liberté des écoles des Mines. Jusqu’alors la direction des Houillères, en vertu d’une convention passée avec les représentants polonais, assurait l’entretien des écoles polonaises. Que va-t-il advenir de ces établissements ? L’enseignement de l’état (sic) n’admet ni les institutions étrangères, ni l’éducation religieuse des enfants… C’est là une contrainte risquant de compromettre notre influence civilisatrice chez nos compatriotes ». Ce ne fut d’ailleurs pas le seul facteur de crise. En effet, comment la communauté polonaise allait-elle vivre la naissance d’une Pologne communiste ? Ce changement politique scella probablement le sort de cette idée de retour au pays et accéléra l’intégration définitive des migrants dans la société française.
Il reste que la Mission catholique mandate toujours un prêtre de nos jours sur le Bassin minier de Montceau aujourd’hui sans activité minière. Il a en charge la communauté « polonaise » et célèbre la messe en polonais dans les chapelles des quartiers de La Saule, du Bois-du-Verne, des Baudrats et des Gautherets.
Ancienne plaque de l’école de filles des Gautherets, le nom de Marie Curie,Née Maria Sklodowska à Varsovie y est mal orthographié.
L’intégralité de cet article, publié dans le Bulletin de l’Amicale des Anciens et Anciennes Elèves de l’Ecole Normale de Mâcon (2011), est consultable au musée
(Sources : « Cent ans d’école », groupe de travail de la Maison d’Ecole
Archives et travaux du musée de la Maison d’Ecole
Bulletins de l ‘Instruction Publique, collection musée
Ouvrages d’Edmond Gogolewski, Cahiers du Rayonnement Culturel Polonais.)
Patrick PLUCHOT
Président de la Maison d’Ecole
Collection Ecomusée de la CUCM-Musée de France