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samedi 17 février 2024 à 06:40

Droit du sol, droit du sang à la carte ?



 

Les affirmations du ministre de l’intérieur français ont eu pour effet de lancer la machine à polémiques, de réveiller de vieux affrontements idéologiques et d’exciter la verve des commentateurs de tous poils sur la toile.

Sans même se référer au sens et la signification réelle des mots, des concepts, chacun y va de ses affirmations, de ses attaques, de  sa vision d’une société fantasmée au travers de clivages qui n’ont souvent rien à voir avec le fond du débat. On débat pour débattre, on échange des arguments qui se suffisent à eux même parce  l’important est d’être d’un côté ou l’autre, pour ou contre, dans une communauté ou pas. De grands enfants en nous jouent toujours aux billes, à ne pas dire non, enfin jouent à avoir un avis qui doit triompher.

Mais en fait qu’est ce que le droit du sol ? Et par là même qu’est-ce que le droit du sang ?

 

Faisons simple mais précis :

 

Le droit du sol correspond au fait de pouvoir acquérir la nationalité d’un pays dans lequel on est né. En France, c’est l’une des voies pour obtenir la nationalité.  Cette notion a été introduite dans le droit français en 1515 par un arrêt du Parlement de Paris. Le droit du sol est inscrit dans la constitution de 1791 et codifié en 1804 dans le Code civil de Napoléon. L’état français qui a besoin de doper la conscription des jeunes hommes élabore le principe de double droit du sol en 1851 et 1889. Il n’y a plus à le réclamer il s’impose automatiquement.

Avant 1851 : « Tout individu né en France d’un étranger pourra, dans l’année qui suivra l’époque de sa majorité, réclamer la qualité de Français pourvu que dans le cas où il résiderait en France, il déclare que son intention est d’y fixer son domicile, et que, dans le cas où il résiderait en pays étranger, il fasse sa soumission de fixer en France son domicile et qu’il s’y établisse dans l’année ».

En 1851, introduction par la  loi du 7 février de la notion de « double droit du sol » : « est Français dès la naissance, l’enfant né en France d’un étranger qui y est lui-même né. Il peut, toutefois, répudier la nationalité française dans l’année suivant sa majorité ».

En 1889, assouplissement  de  la loi « les jeunes étrangers nés en France acquièrent la nationalité française de plein droit à leur majorité, à condition d’avoir résidé en France jusqu’alors ».

Aucun gouvernement français,  jusqu’à présent, n’a attaqué ou supprimé  le droit du sol sur tout ou partie du territoire national, même pas le régime de Vichy.

Il s’agit donc d’une naturalisation par situation.

 

Un autre mode d’acquisition de la nationalité française est la filiation dite  droit du sang. Il s’agit d’un droit automatique s’attachant à la naissance. jus sanguinis, est la règle de droit attribuant aux enfants la nationalité de leurs parents, quel que soit leur lieu de naissance. Article 18 du code civil  « est français l’enfant dont l’un des parents au moins est français »

1576 : par l’arrêt Mabile, le parlement de Paris, en date du 7 septembre 1576, reconnaît le droit du sang pour les enfants nés de parents français à l’étranger.

 « La nationalité est désormais un attribut de la personne, elle se transmet comme le nom de famille, par la filiation. Elle est attribuée une fois pour toutes à la naissance, et ne dépend plus de la résidence sur le territoire de la France » mais conserve toutefois le droit du sol (jus soli). L’individu né d’un étranger doit néanmoins réclamer la nationalité française dans l’année qui suit sa majorité.

 

La France utilise les deux droits sans en opposer un à l’autre.

 

Le troisième mode d’acquisition de la nationalité française est le mariage.

Le mariage avec un français n’emporte pas automatiquement la naturalisation de l’époux étranger. Il existe d’abord un délai de quatre ans à compter du mariage et le conjoint étranger doit  remplir les conditions suivantes :

– Une communauté de vie, tant affective que matérielle entre les époux,  doit avoir été effective depuis le mariage

– le conjoint français doit avoir conservé sa nationalité

Le délai de communauté de vie est porté à cinq ans lorsque le conjoint étranger ne justifie pas avoir résidé de manière ininterrompue et régulière pendant au moins trois ans en France à compter du mariage  ou s’il n’est pas en mesure d’apporter la preuve que son conjoint français a été inscrit pendant la durée de leur communauté de vie à l’étranger au registre des Français établis hors de France.

 

Le ministre de l’intérieur envisage de supprimer le droit du sol sur le territoire de Mayote. En fait c’est la notion même de double droit du sol qu’il envisage de supprimer.  Le Conseil constitutionnel aura sans aucun doute à se prononcer sur l’abolition de ce droit dans un territoire spécifique.  Il y a deux précédents qui n’ont pas fait broncher le Conseil constitutionnel. Lorsque sous la présidence de Robert Badinter les « sages » examinèrent la loi Pasqua-Méhaignerie, (loi n°93-933 du 22 juillet 1993)  ils avaient estimé  que « l’automaticité du droit du sol n’était pas un principe fondamental reconnu par les lois de la République ».  De même lors de l’examen par le conseil  constitutionnel de la loi asile-immigration de 2018, les dispositions durcissant les conditions d’application du droit du sol à Mayotte n’avaient pas été jugées inconstitutionnelles

 

Nous verrons dans le temps comment le gouvernement entend faire passer cette réforme. Soit passage par une loi simple en s’appuyant sur de 1993 déclarant que « l’automaticité du droit du sol n’était pas un principe fondamental reconnu par les lois de la République ». Soit   l’exécutif privilégiera la piste d’une révision constitutionnelle. Dans ce second cas cela risque de prendre du temps et rien n’en garantit l’aboutissement.

 

 

Quand aux arguments de la « pompe aspirante »,  du « droit du sol agissant comme un aimant qui attire vers Mayotte, pour qu’on ait un enfant qui, à terme, aura la nationalité française. ». Les statistiques viennent mettre à mal ces théories d’après les statisticiens et l’agence régionale de santé (ARS) et de Santé publique France, en 2021, la majorité des femmes étrangères qui ont accouché à Mayotte habitaient déjà sur l’île au moins deux ans avant leur accouchement. « Elles sont une minorité à arriver à Mayotte pendant leur grossesse (11%) ».

 

Mais là nous rentrons dans le débat politique pur. Maintenant chacun au moins saura de quoi il parle au travers de notions qui ne lui seront plus étrangères.

 

Gilles Desnoix

 

 

Voir l'article : Montceau News




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